Délégué général du Québec à Paris, j’ai eu l’honneur de recevoir chez moi à plusieurs reprises l’ancien chef de l’État du Sénégal, Leopold Sedar Senghor. Curieux de notre destin, il s’enquérait de la santé culturelle et politique de la seule société francophone en Amérique du Nord, rappelait ses liens avec elle, son doctorat honorifique reçu de l’Université Laval et les plus anciennes correspondances dans l’histoire entre Saint-Louis du Sénégal et Québec de la Nouvelle France.
Secrétaire général de l’Agence internationale de la francophonie, j’ai eu l’honneur à ce titre, de recevoir l’inspirateur de la communauté francophone internationale. Pour cette dernière, il avait l’exigence et la patience de ceux qui savent conjuguer la fécondité unique de la durée et l’urgence du temps immédiat ; la douceur aussi de celui qui, regardant ce qu’est devenu son œuvre, ne peut dissocier ses acquis et ses dévoiements de l’intime conviction d’avoir placé dans l’histoire un ferment essentiel.
J’aimais et j’aime toujours ses exigences. Aussi sa joie de dire incarnant sa joie de penser; sa façon, unique et féconde, de partager son étonnement infini d’être en communion avec les mondes reçus et ceux qui trouvèrent en lui la chaleur de leur gestation.
D’autres ont dit et diront ce que le Sénégal et l’Afrique doivent à celui qui, avec ses compagnons, a pensé et construit la libération de son pays et du continent. Pour ma part, je tiens ici à saluer sa contribution essentielle à la pensée humaine sur l’humanité elle-même.
Sa pensée fut globale avant la globalisation.
Elle posa comme préalable à la globalisation des activités des hommes, la globalisation de leur com préhension de l’humanité, de son histoire et évolution. Là où d’autres voient des positionnements irréductibles des civilisations, Senghor distingue des fécondations réciproques. Il ajoute <la lumière à la lumière» selon la superbe expression de Salah Stétié.
Sa pensée éclaire le siècle et le millénaire naissant tant il nous faut combattre ces idées perverses voulant que les civilisations soient condamnées à l’affronte ment, et nous, à être les témoins et les victimes de la victoire des uns et des autres. Ce virus si près du désir de notre temps doit être extirpé de la pensée humaine. Senghor nous fournit l’antidote en plaidant pour la compréhension de ce qui constitue le cœur du cœur commun des civilisations, ces patrimoines et espérances partagées.
Pour accéder à cette compréhension radicale, il faut renouer avec la «mémoire irréductible». Cette dernière recèle les matériaux de nos origines et de nos finalités communes.
Comme tous les grands, Léopold Sédar Senghor l’intuitionnait.
Son mérite, et la beauté de sa vie, est d’avoir traduit cette fulgurance dans les mots, les émotions et l’action. L’enfant de Joal fut l’un des vrais architecte de notre maison commune, un visionnaire de la mondialisation; Sa vie et son œuvre une plaidoirie politique et poétique de la mémoire irréductible de l’unité constitutive de l’humanité