Demain, la compassion sera sollicitée par d’autres images que celles, horrifiantes, qui nous sont venues de Port-au-Prince depuis 10 jours. D’où l’importance de tirer le maximum des circonstances actuelles, si pénibles soient-elles, et de tout mettre en œuvre maintenant pour engager et réussir la reconstruction d’Haïti. D’où l’importance de la conférence qui se tiendra à Montréal le 23 janvier prochain et qui contribuera ou non à dégager l’esprit de cette entreprise colossale qui pourrait s’étendre sur deux décennies et davantage.
> Il s’agit certes de reconstruire ce qui a été détruit matériellement, les habitations par centaines de milliers, les routes par centaines de kilomètres, les bâtiments publics et tant d’autres infrastructures y compris celles du domaine de la communication, de l’énergie et de fourniture d’eau pour au moins deux millions de personnes. Mais à partir de quel plan, selon quel rythme, avec quel financement et sous quelle autorité?
> Il s’agit aussi de reconstruire les institutions, toutes les institutions, celles de l’État qui est « décapité » selon la terrible expression de Dany Laferrière : du Palais présidentiel à la quasi-totalité des ministères, de la Cour suprême aux commissariats de police, des hôpitaux généraux aux dispensaires de quartier, des Instituts spécialisés aux écoles de base, des établissements dispensant des services publics spécialisés, permis divers et autres documents administratifs aux institutions pénitentiaires. Il s’agit pour chacune de ces institutions de reconstituer les équipes décimées, de recréer leurs capacités administratives et de services. Mais à partir de quel plan, selon quel rythme, avec quel financement et sous quelle autorité?
> Il s’agit enfin de venir en aide à un nombre incalculable de personnes de toutes conditions et de tous âges, membres de familles démembrées, orphelins par milliers, personnes âgées devenues isolées, handicapés physiques et handicapés mentaux, hommes et femmes croulant psychologiquement sous le poids d’une telle accumulation d’épreuves. On dit le peuple haïtien résilient et il l’est en effet. Mais cette qualité ne le protège pas des effets actuels et à venir du stress extrême qui vient de s’abattre sur lui. Comment déployer cette aide en direction de centaines de milliers de personnes? À partir de quel plan, selon quel rythme… vous connaissez la suite!
Enfin, reconstruire peut-il signifier simplement recréer les conditions économiques et sociales prévalant en Haïti avant que la terre vacille : près de 50% des Haïtiens sans aucun statut civil et aucun enregistrement dans quelque registre public que ce soit, 65% affectés par le chômage et plus de 70% par l’illettrisme. Ces statistiques dessinent une société de toutes les pénuries au cœur de la plus riche région du monde. Les Haïtiens peuvent et doivent faire mieux, et nous avec eux, pour mettre fin au scandale de cette pauvreté extrême qui conjugue tous les dénis de droits humains. La reconstruction nous en donne l’occasion. Elle sera certes matérielle. Mais elle doit aussi viser à donner enfin des assises durables à la reconnaissance de la dignité des Haïtiens.
Cette reconstruction est vouée à l’échec si certaines conditions exigeantes ne sont pas respectées. La reconnaissance de ces exigences ou non fera de la Conférence de Montréal un levier de la reconstruction ou la réduira à un exercice de relations publiques, sans plus.
– La mise en place rapide d’une Commission internationale restreinte chargée, en partenariat étroit avec le gouvernement haïtien, de la reconstruction d’Haïti sous l’autorité d’une personnalité de très haut niveau; Haut Commissaire onusien nommé par le Conseil de Sécurité et disposant d’une autorité politique, financière et administrative indiscutable sur l’ensemble des ressources en provenance de la communauté internationale. Il doit aussi déterminer ses propres règles d’engagement et ne pas dépendre de celles prévalant dans plusieurs systèmes nationaux et qui sont, en soi, devenues des obstacles systémiques à la coopération internationale en raison de leur complexité, lourdeur et insensibilité aux situations singulières. Les noms des anciens premiers ministres Chrétien et Clark circulent.
Invoquant la souveraineté nationale, certains récuseront ce qui, à leurs yeux, constitue une forme dissimulée de tutelle. À circonstances éminemment exceptionnelles, réponses spécifiques et exceptionnelles. L’objectif est clair : Haïti doit être reconstruit et reconstruit rapidement. Les responsabilités sont aussi clairement établies. L’État haïtien doit être partie prenante de cette entreprise qu’il ne peut manifestement pas conduire seul.
– L’élaboration progressive et la mise en œuvre d’un plan de reconstruction matérielle, sociale et économique d’Haïti en lien étroit avec le gouvernement haïtien et les organisations de la société civile du pays. Chercher à reconstruire Haïti sans le consentement sollicité et obtenu de ses habitants est un passeport pour l’échec. Cette exigence est fondamentale.
– Enfin, compte tenu des circonstances, les organisations internationales et les États doivent mettre de côté leur déplorable habitude de faire des annonces, notamment d’appui financier, pour par la suite ne pas les respecter comme on a pu le constater par le passé. Ce trait de l’irresponsabilité éthique et politique des États est déplorable à tous égards. Peut-être faut-il créer un comité international de vigilance pour que cette honteuse méthode de relations publiques ne vienne pas, cette fois, décourager l’initiative et pervertir l’idée même de justice et de solidarité internationales. À cet égard, après cette phase initiale d’ajustement et de nécessaire compréhension du drame, les médias doivent reprendre leur fonction critique et cesser de se comporter comme les relais des politiques. Leur apport sera essentiel dans l’analyse et le suivi des choix effectués pour la reconstruction matérielle, politique, économique et sociale d’Haïti.